Van Eyck-Rolin : Dans la terre comme au Ciel

Révélée par sa restauration s’il le fallait, La Vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck resplendit comme jamais au Louvre, six siècles après sa création. Commandé par Nicolas Rolin - le chancelier du duc de Bourgogne Jean Le Bon - pour son usage de dévotion personnel, le tableau devait ensuite servir à orner son tombeau à Autun.

La Vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck, vers 1430, Musée du Louvre

Depuis une chapelle de palais, le regard du spectateur plonge dans les lointains d’un ample paysage qui coule avec son fleuve de l’animation de la ville à le sérénité des montagnes. Ce qui nous est montré symboliquement, c’est toute l’étendue du territoire terrestre administré par le chancelier, un homme au pouvoir politique et économique des plus puissants de son temps. Mais Rolin, au contraire de nous, se désintéresse de cette splendeur, tout concentré qu’il est sur son adoration de Marie et de son fils.

En regardant La Vierge sans ciller, Rolin demande dans sa prière à la Reine de la Terre comme du Ciel d’intercéder pour lui auprès de l’Enfant. Plus que tout, que son pouvoir et ses richesses, ce qu’il désire et attend d’eux c’est leur bénédiction et leur protection. Ici et maintenant bien sûr mais surtout pour plus tard, quand il sera un jour, là-bas, dans son tombeau. Son âme, elle, sera alors avec Eux dans l’infini du domaine sur lequel ils règnent. Qu’à leur côtés, il ait pour toujours la grâce de leur bienveillance. Par son geste, Jésus déjà le rassure.

La Vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck, vers 1430. Arrière du panneau

De l’autre-côté de l’image sacrée, à l’arrière du panneau de chêne qui lui sert de support, Van Eyck a peint à l’huile un faux-marbre dont la restauration a permis la redécouverte. Le matériau est soigneusement poli et le toucher, disent les personnes qui ont pu manipuler l’oeuvre, rappelle la texture de la pierre, le marbre du tombeau auquel le tableau était promis. Le panneau devait être soit placé sur un socle soit retourné de temps en temps pour pouvoir être contemplé des deux côtés. Mais alors, comment ne pas voir aussi dans cette image abstraite d’une stupéfiante modernité l’évocation de la destination finale de l’âme libérée du corps, le Cosmos ? Le territoire sans limite du repos en Dieu que Rolin, aussi puissant eût-il été, attendait humblement comme tout un chacun en ce Moyen Âge finissant.

Nicolas Rolin acheva sa vie terrestre le 18 janvier 1462, à l’âge indécent pour l’époque de 86 ans. Selon son souhait, il fut inhumé au pied de son tableau de La Vierge dans le choeur de l’église qu’il avait fait construire à côté de la Cathédrale d’Autun : Notre-Dame-du-Chastel. L’édifice ne survécut pas à la Révolution, il fut détruit en 1794. La sépulture et les restes de celui qui fut aussi le fondateur des Hospices de Beaune semblaient bien disparus à jamais.

Mais en novembre 2020…

Caveau de Nicolas Rolin découvert en novembre 2020 sous la Place Saint-Louis à Autun

Éperon du XVe siècle retrouvé dans le caveau de Nicolas Rolin

Une campagne de fouilles de diagnostic sous la Place Saint-Louis dans le cadre de l’extension du Musée Rolin - qui était l’hôtel particulier du chancelier au XVe siècle - fit sensation. Un caveau contenant les ossements de huit personnes inhumées justement au milieu du XVe siècle fut découvert au niveau du sous-sol de ce qui avait été le chœur de Notre-Dame-du-Chastel. Et parmi ces vestiges, on trouva un éperon luxueux correspondant - selon un témoignage d’époque - à ceux que Rolin avait aux pieds dans son cercueil. Si le caveau avait été pillé et les huit squelettes dispersés sur son sol pendant la Révolution, les coupables avaient oublié l’accessoire. Contre toute attente, la sépulture de Nicolas Rolin revenait au jour. Ses ossements aussi, hélas non-identifiables dans leur mêlée avec ceux des sept autres occupants de la fosse.

Près de six siècles après qu’il eût commandé son tableau à Jan van Eyck, Nicolas Rolin a gagné son pari : il est en terre comme au Ciel et nous, face à son regard concentré qui nous ignore, nous nous souvenons des traits de son visage. En continuant à le faire vivre près de La Vierge et du Christ dans la grande boucle de l’Histoire et de l’Art, de et du Temps.

A gauche, détail d’un revers de tableau peint en imitation de marbre (Atelier de Jan Van Eyck, vers 1445/Musée des Arts Décoratifs, Paris)

Exposition “Revoir Van Eyck : La Vierge du chancelier Rolin”

Musée du Louvre

du 20 Mars 2024 au 17 juin 2024

Le texte ci-dessus ne reflète que mon avis personnel

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